Isabelle Dormion, Turbulences
expérience en forme de journal, par Isabelle DORMION, dans le cadre de Paroles d'Indigènes* sur shukaba.org



Du petit au grand gigolo / 15 avril 2014

C'est l'heure de la première information du jour qui vient déjà. La première page de couverture a juste reçu à l'instant même tout le contenu d'une tasse de café. Le liquide a giclé en éventail sur une bonne dizaine de livres. Une infime partie est neuve, l'autre très ancienne. Pour remédier à cette chute, j'apprends dans «le guide des petits et grands soucis quotidiens vite réparés» que le jaune d'oeuf peut venir à bout des taches les plus récalcitrantes. Je ne m'y risquerai qu'en dernier recours. Le premier soin est de rincer l'ouvrage à grande eau puis d'essayer l'eau de javel. Ce palliatif aurait pour inconvénient, si j'en crois la toute récente tentative, d'effacer les signes typographiques et ceci, plus grave, de façon aléatoire. Les supprimer après les avoir déchiffrés un à un n'est pas un souci auquel un guide peut remédier, aussi avisé soit-il, les voir se blanchir l'un après l'autre sans avoir eu le temps d'en prendre connaissance serait un sacrifice trop grand pour moi qui donne à chaque signe plus de valeur qu'il en détiendrait? Un inventaire du gâchis s'impose. Qui dans la pile verticale et le rayonnage horizontal souillé en biais, peut prétendre à être détaché? Qui doit finir dans la corbeille? Le Tasse? Qui donc finira brûlé? Pas question de jeter un seul de mes livres dans la benne à ordures. Une relecture immédiate s'impose urgemment avant les trois soins : jet des grandes eaux, Javel et enfin jaunes des trois oeufs, les blancs étant soigneusement gardés en cuisine pour nos meringues d'après. La mémoire a-t-elle à ce point de si vastes lacunes, qu'affolée elle s'obstine à chercher par bribes jusqu'au souvenir des lectures? Les deux montants de la bibliothèque emprisonnent, sauvegardent, confinent et enfin ratatinent sans même en disperser un seul mot. Il ne le livre ni au grand vent de l'oubli ni au petit courant d'air de la désinvolture. En quoi le souci de la pile des news à terre et celui, plus étayé, quelques centimètres plus haut, du rayon d'ouvrages peut-il faire progresser les choses? En ceci: Sur la pile posée à même le parquet, la tête délavée de Valls, qui a reçu une grosse part du liquide bouillant, dessous, une photographie en gros plan du Premier Ministre trempé de café et, à côté, un portrait du Chef du Gouvernement déguisé un oracle de Delphes*, mâchant erratique une feuille de laurier, la pupille fixe, fanatisée par le contexte. De l'image, seul l'habit blanc sacré, la tunique de notre aurige, a souffert de quelques giclures de café brunes, sans autre dommage visible. Je feuillette, je garde la quintessence de l'information journalistique, le titre, je note: «Ce qu'il a en tête», «Rebelote», «Mais que leur dire?», «Qu'est-ce qu'elle a ma tête?» quand sur un supplément, surgit un entrefilet sans aucun rapport avec les deux grandes préoccupations du seul moment, de cet instant, aujourd'hui, comment sauver les livres et pourquoi donc vouloir sauver le monde à tout prix? Pourquoi? Au nom de quoi? Grande perte ou tout petit salut, qui donc aujourd'hui hormis vous, fera la différence?

C'est enfin, au dessus du tas, juste une petite tache sur la photo de l'apprenti gigolo, pile sur le nez de Woody Allen, encore heureux qu'il ne porte pas de lentilles de contact, ça tue l'homme plus qu'un appareil acoustique, l'acteur du film de John Turturro, je lis vite, il est assassiné par la critique en une dizaine de lignes revanchardes et mesquines qui titillent en l'exposant à genoux l'intention de l'auteur, ses procédés et ses choix formels. Effet inverse. Ces méchantes lignes, ce style-là, déploré, étalé ici de si bon matin, me galvanisent, me donnent envie de tout planter là, et ça, sur le champ: piles, livres de poche et livres rares, réflexions, boissons chaudes, bric à brac, rayons de soleil, chemins serpentant sans fin et si calmes journées, pour cavaler droit vers de plus larges routes et sans retour vers d'autres horizons.

Isabelle Dormion

*Le dieu de l'Olympe a élu celui qu'un honneur suprême délègue à notre foi vacillante. Puissions-nous encore graver sa parole, contre l'inanité qui se manifeste alors, au marbre qui en ferait toute l'histoire?
Brèves russes de dortoir ou l'usage du tréma dans balalaïka / 25 avril 2014

Que reste-t-il d'une lecture du mensuel, des hebdomadaires et de quelques quotidiens lus cette semaine? Rien. Une opinion? Heureusement plus la moindre! Je m'en suis débarrassée.

Je croise dans le long couloir gris près de la sortie un grand homme d'Ukraine, un russophone exilé qui retourne dans son pays libéré. La brève discussion, sans trop de préjugé d'un côté comme de l'autre, parvient à son terme sans que le Russe ne plaide une cause, celle d'un Russe. C'est chose établie: la Russie, il suffit d'y aller, arpenter quelques verstes à pieds, n'est pas un pays pour les rêveuses arachnéennes. Il suffit de relire l'histoire, les histoires, d'examiner un par un au Musée des Invalides les minces costumes des soldats de Napoléon pour y retourner, éprouver la liberté et la mesurer à la fatigue. Marcher dans ces espaces là, d'un lieu à l'autre, c'est prendre la mesure du jour en regardant, en respirant, en écoutant sans en comprendre un seul mot les psalmodies et les paroles pour suspendre momentanément tout jugement de valeur. On dort en dortoir de trois lits, on prend du thé, on parcourt les avenues, on soigne les extrêmes, fatigue et joie, et les extrémités, pieds et mains, on va à l'essentiel, on pose les onguents, on va plus loin, on ne se retourne pas, on poursuit, on abandonne en chemin quelques conclusions ineptes et quand on revient, on a changé. En quoi la Russie peut-elle changer le corps et l'esprit? Impossible à définir. Rien n'est transformé, mais tout est nouveau. Le monde est nouveau. Pourquoi? Les vieux, les jeunes, différents de nos familiers français, chiens compris. Là-bas, ils ressemblent plus à ce qu'ils sont, des chiens, comme les animaux qu'ils sont. Très peu en laisse dans les forêts.

Des femmes septuagénaires en combinaison de métallo repeignent d'une couche inoxydable les naseaux d'un cheval en fer forgé.
L'homme assis dans le métro pleure en récitant trois vers de Ronsard.

Les trois punks près du lac offrent des grillades et de la bière. Leur drapeau, ils le hissent. Ce n'est pas un drapeau noir.

Si on a vu les documentaires établis sur Staline en couleur? Si on a lu? Oui! Ceci et cela! Si on a une opinion? Une idée? Un idéal? Une conscience politique? Un objectif? Une conclusion? Un résumé? Un laïus? Un exposé? Une idée? Aucune! Quelle question! Non? Vous ne répondez pas? Un avis! A la moindre question, vous la retournez à l'envoyeur? Un avis sur tout! Sur n'importe quoi? Sur n'importe qui! Vous le donnez! Au moins une opinion, comme tout le monde! C'est un droit et Madame, c'est un devoir! Pourquoi portez-vous des chaussures en daim? Et la cause animalière? De la peau d'ours? Garantie à vie? Pourquoi souscrivez-vous mensuellement à un club de philatélie? Pourquoi préférez-vous l'huile de noix à l'huile d'arachide? Savez-vous que l'huile de noix risque de rancir sur l'étagère du haut? Que pensez-vous d'Edouard Herriot? De Gide en Russie? Vous êtes un peu communiste sur les bords? Apolitique? Réfractaire? Allergique? Le 25 avril, qu'évoque cette date pour vous? Vous préférez la ouate ou le coton? Vous achetez chaque jour un quotidien? Quel usage en faites-vous? Vous le découpez? Vous le brûlez? Vous nettoyez avec quatre pages arrachées les vitres à l'alcool? Au vinaigre? Vous découpez? Vous vous en servez pour envelopper vos poireaux? Bien plus souvent que vos endives? Vous vous moquez du monde? Vous persistez? Vous signez là? Oui! Emargez sur la ligne! Que pensez-vous de l'énergie nucléaire? Préférez-vous l'idée infantile des moulins à vent? Vous avez l'esprit d'escalier? Votre oncle a rencontré Kroutchev? Ce n'est pas le propos! Où? A Paris? Que disait-il de lui? Qu'il avait pris le métro? A quel titre? Sans ticket? Avec le chef du protocole. A titre gracieux? En casquette? A quelle station? Vous avez lu Hasek? Vous revenez de Pologne? Quel rapport? Vous ne voyez pas? Vous êtes déjà allé au Club Med? Vous avez lu Graham Green? Julien Green? Vous avez pratiqué le golf au Touquet Paris-Plage? Non! Pourquoi? Vous auriez pu! Vous pourriez réciter vite fait une sourate? Quoi? Que ça ne changera pas la face du monde? Pourquoi vous souriez encore? Vous pensez à quoi? Sourate? Psaume? Vous voulez une torgnole? Dans la figure ou vous préférez les doigts écrasés? Pas le majeur? Pourquoi? Ni l'annulaire? Déjà brisé! Ah! De la mandoline? Et pourquoi pas la balalaïka? Et l'ukulélé, si ça vous chante? Tout pour la musique! C'est facile à dire? Ce qui est facile à dire n'est pas toujours facile à faire? Chantal Goya? Et alors! Qu'est-ce qui vous obligerait? Un interlude? Un répit? Du point de vue petite pause relax entre civilisés? Préférez-vous le chocolat noir ou la gnôle? Ou plutôt le nougat, une petite barre lait-noisettes? Un menu grignotage! Tout pour la détente cordiale! La désescalade! On n'entend que ce mot? On pérennise le dialogue? On débraye en douceur! Non? Peanuts? Vous ne marchez pas dans le jeu? Dans le laïus? Vous flairez l'imposture? Vous flairez la provocation? Le piège! A quelle fin? Vous vous posez trop de questions! Keep cool, baby! Vous trouvez ça incongru? Pour qui vous vous prenez! Vous ne représentez rien! Et vous vous en vantez? Vous avez déjà pris de la coke? Vous êtes sous quoi? Verveine et tilleul menthe? Vous n'êtes pas dupe? De quoi? Ce n'est pas à vous de décider! La lucidité vous aide à vivre! Une question d'éclairage? Une question particulière? Mais ça n'est pas la question posée! A quoi faites-vous allusion? Aucun rapport! Le chocolat Meunier? Vous dites que ça n'existe plus? L'usine a été revendue à Nestlé? Vous dites? Ne hurlez pas! Parlez moins fort. On n'est pas sourd. Taisez-vous, pour une fois. Le chocolat Meunier! N'importe quoi? On ne peut parler de tout? N'importe où! Ici même?

On ne vous a pas demandé votre avis.


Permanence pérennité perpétuité / 6 mai 2014

C'est bien le premier de l'équipe qui m'avait assignée à la chaise du réduit. Ils appelaient entre eux l'endroit le local et ça évidemment parce qu'ils prétendaient y adhérer. A quoi? A la chaise? A la cause? Au local? Au permanent? Je ne me le demande plus. Ils cotisent? C'est à voir. Pas un des cinq n'a une tête à ça, je ne les vois pas poser l'obole dans la cagnotte en crachant par terre l'un après l'autre devant le leader Proximus son fichu serment de fidélité, un vrai engagement, dans le relationnel: la cordialité potache assortie d'esprit de sérieux. Ils auraient davantage l'air de clubbeurs noctambules fraîchement rasés, certaine mèche canaille relevée dans une coupe faite au forum des Halles. D'emblée, ils exigent tout de plein droit et dans leur cas, c'est une patente, une fonction et une raison de vivre. Ils ressemblent plus à des culbuteurs. Ils font nombre à cinq comme un sac d'endives, on les dirait ficelés et unis par la blancheur nacrée de leur encolure, ou quelque chose de blanchi en champignonnières parisiennes; quelque chose de caverneux, posé dessous, sous de la toile de jute. Ils n'avaient pas, ceux-là, une tête à se bronzer le décolleté, comme on disait chez nous des hommes du Fossé d'Annezin.

L'un des cinq, qui avait appris d'un orthophoniste l'art de moduler un chuintement oratoire qui passait pourtant la rampe, me dit de poser mon cul là... en accompagnant sa parole du geste space guitar vers la chaise en question, je ne compris pas très bien, il répéta alors de m'asseoir et de faire une pause. Premièrement, je voyais bien que cette chaise avait été enlevée, à une classe de primaire un jour d'élection. Ensuite, je lui fis remarquer poliment que la première proposition incluait la seconde. Je pensais surtout que n'ayant pas le choix, ni de prendre la première ni de refuser la seconde, la position assise ou le repos, je pouvais commencer à gamberger pour mon propre compte et dans un troisième terme qu'ils aillent définitivement se faire foutre. Je leur devais des explications. L'expression peut vouloir dire, dans un certain contexte, aller au diable. Ce n'était pas ça. Ils y étaient déjà allés, sans état d'âme, sans âme, même, à les examiner un par un sans fixer leurs yeux ni les points au milieu des pupilles. Comment ils étaient accrédités? De la façon la plus simple. Pour ce faire, ils étaient membres du cercle, ils devaient cotiser, être chacun à part entière, sans réticence, membre de la permanence, la maintenir; la conserver dans ses locaux, ses fonctions et son avenir, si les évènements qui s'annonçaient demain rendaient cette adhésion possible et probable dans le calendrier du printemps. Ils devaient faire preuve de détermination dans l'agir et de continuité dans le vivre ensemble. Avec qui devaient-ils vivre ensemble, c'est la question que je me posais, il était encore trop tôt pour leur faire part de ma réponse pour la bonne raison que je n'en avais pas à leur disposition dans les strictes limites de leurs exigences. Dans cette situation, la leur, leur exigence appelons-la une occurrence, mon occurrence, ils n'étaient que cinq, ça faisait juste une mini société pour ceux qui s'ennuyaient à la maison, c'est pour eux l'occasion de sortir chacun de chez soi, d'y aller, au timing serré, de prendre un verre au comptoir, de sortir le carnet à souche, de relever les numéros, de copier les noms, les numéros de sécu, d'en rendre compte à l'autorité, de la désigner, cette autorité, de la conforter, de l'honorer, de lui faire signer les reçus et le tour était joué. Ils avaient leur cercle. Quant à la permanence, elle est située à Vitry, elle est relativement claire, située en contrebas, et le petit local où je suis gardée, provisoirement si j'en crois le tiers requis dans cette affaire, pas désagréable à vivre. On s'y habitue. Ils m'ont laissé là pour l'instant. Je n'attends rien d'eux, en tout cas rien d'autre que ce que j'ai demandé, le minimum vital, un luxe, ce que tout à l'heure j'exigerai, un quart d'eau minérale en bouteille de verre et du chocolat dans du papier d'argent, de quoi faire une boulette de taille moyenne. Avec un simple éclat de verre, et la boulette, je sors de là.

Aux Calendes Grecques/ 9 juillet 2014

Cette année, je n'ai pas vu grand monde. Personne n'ayant pensé à me rappeler la date du premier jour des soldes, ma distraction, jointe à de multiples activités de contemplation et un certain stage accéléré de distraction ambulatoire, m'a fait louper le premier jour, date de première importance stratégique dans la catégorie et celle du premier choix des reines de la nippe.

Cette année je m'en tiendrai donc aux reliquats de ma garde-robe, tous les éléments excédents devant être donnés, pour certains aux Roms, pour d'autres aux Palestiniens, pour le reste, aux Israéliens, s'il en reste. Que Dieu seul puisse nous entendre dans l'équité du partage! J'apprends que ces derniers interceptent les armes à courte portée en plein vol. C'est bien. C'est faire preuve d'habileté. Je donnerai l'excédent à d'autres survivants, mais plus proches, en termes de sympathies et de réciprocité dans l'estime. J'oublie souvent que l'échange de missiles, qu'il soit à moyenne ou longue portée, fait partie d'un échange humain traditionnel et scrupuleusement codifié par des spécialistes du genre humain en conflit. C'est dire oui-oui ou non-non, mais de façon plus entendue, plus manifeste. La répétition du oui, devant les médias, annule le sens conféré. Les velléités de dons humains, ou humanistes tous azimuts, si l'on ne considérait pas la justification (réparatrice) qui en serait la base impartiale (la guerre) et en ferait l'élan (la guerre), sont aussi stupides que de consoler Pierre avec un mouchoir de Paul piqué à la Croix Rouge. Il ne se trouve plus qu'un pape pour sortir un mouchoir blanc et l'agiter à la face un 25 décembre.

Cette année, je ne garderai donc que l'essentiel. Je jetterai tout le reste à la poubelle et je brûlerai mon astrakan pour que jamais un Nouveau Kurde puisse en profiter un jour. Pour les pieds, des pataugas et les escarpins de velours que ma tante de chez Givenchy m'avait donnés quand elle était chez eux. Pour le haut, mon plus vieux cachemire avec les épaulettes, celui qui maintient le cou dans une aération suffisante en cas de déplacement ou en Espagne ou au Portugal. Pas de mailles serrées aux coudes dans des soies ou chinoises ou acryliques. Pour le milieu du corps j'ai en vue un pantalon bleu de l'Armée pour femmes à pont supérieur et double boutonnage, à part un bouton à réassortir avec l'ancre je ne vois rien d'autre à faire mardi.

Cette année, j'ai du mal à savoir quand elle commence. J'ai hésité longtemps. En Janvier, je ne l'ai pas reconnue si nouvelle. A Pâques, encore moins, ça traînait le vent derrière le froid. Finalement, l'été venant, son cortège de fenaisons emplissant l'atmosphère d'un parfum qui enchante le commun des mortels, (moi), j'ai décidé que la nouvelle année commencerait demain, juste à la veille du 14 juillet. Tambours, trompettes, quelques étincelles dans les artifices du ciel de Paris, que puis-je vouloir de plus au zénith de la vie? Ce seront des grandes vacances et j'ai pu déjà les commencer sans tarder : 18 gros escargots de Bourgogne ramassés pour mon déjeuner, ce sont deux jours indispensables pour les laisser jeûner avant de les passer à l'ail, mais c'est déjà un début. Je n'irai plus ni ici, ni là-bas quand ce n'est pas nécessaire et je ne porterai pas de havresac en toile beige-kaki, comme j'en ai vu un couché comme un gros rat rue du Cherche-Midi, moins cher que d'habitude, pour celles qui ont toujours l'habitude de s'habiller dans ce coin toute l'année. Ce que je préfèrerais bientôt faire l'année qui commencera demain: rien, à tout ou rien si j'ai encore le choix entre les deux.
L'histoire de la dentellière/ 21 septembre 2014

Le soir venu devant la baraque à frites, le tenancier sert le potch' sur une assiette cloisonnée, les frites reléguées à leur juste place et la mayonnaise à la portion congrue. Il s'agit d'une contre-enquête sur la question: le chti est-il cor un numain? Non! Il est traqué en ses hauteurs de beffrois, il est filmé en contre-plongée, il est recruté chômeur à vif, il est exposé neuneu tournant comme une toupie dans la ch'tiote cour à mémé, il se rétame la gueule, il est tourné en intelligence de la chose à réfléchir, demain nous aurons Régis Debray au commentaire du Quinquin, requis au désabrutissement du téléspectateur (moi et vous), il est promu modèle de réflexion, il vire au prétexte de pédagogie active (éduquer le téléspectateur, servir au tout-venant du soir, la fête à tête-de-noeud, comment je vais vous les secouer moi, les téléspectateurs, vas-y! ce sera pas Heidegger, on va pas faire dans la dentelle, on va créer des modèles identitaires (toi-toi-toi), de réserve à hommes (les derniers), de pièces à conviction, des Mohicans, de pas trop gentils, des pas trop vilains, des pas trop ceci, ni trop cela, de terrain ethnographique (des vrais humains, comme vous et moi, il en reste pas grand main à Bailleul ou ailleurs?), une sorte de réserve à Mardi-Gras, indemne de toute corruption, vierge de toute interprétation fallacieuse, source de vérité et foyer de vertu, riche en enchantements, en veux-tu des fées Mélusine à Bailleul, en voilà cor' un coup, c'est une sorte de cruelle ducasse pour drôles et drôlesses, un réservoir de rêves, où l'esprit d'enfance n'est pas très éloigné de la désespérance, si on a connu les fourneaux d'Usinor-Sacilor illuminant la nuit un peu plus à gauche.
Si on est proche de Bernanos? Non! Mouchette dans la gadoue? Tout le monde n'est pas Bresson.
Dans le Nord d'Arte, on est dans Arte (ses exigences, son public, son éthique, sa liberté: sa politique). On n'y reconnaît rien de rien sauf le vélo. Pourquoi? La cristallerie d'Arque? La distillerie de Chocques? La hutte de la Madelon? Les sauterelles à Dureux? La Ducasse, c'est pas comme ça que ça se passe, et chez nous, c'est pas carnaval tous les jeudis. La limite entre le burlesque et le grotesque, ce n'est pas Arte qui en mesure au centième de millimètre le coupant du fil, c'est le rasoir.

Si les artistes ou les cinéastes se mettent à pontifier (éduquer le peuple?), il reste aux ethnographes une exigence: s'asseoir à côté de la plaque et attendre que quelqu'un arrive de ce côté-là, par terre.


 à suivre...

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