MACHINES CELIBATAIRES

Systèmes séparés de la vie
La pensée organisée en chapelles, l'art, la mode, l'économie, les marques, les multinationales, la fonction publique, les boîtes de com', entre autres exemples, peuvent être considérés comme de tels systèmes.

Ces systèmes se comportent comme des machines, fascinantes certes, mais qui tournent par elles-mêmes, pour elles-mêmes et en elles-mêmes. Elles portent au sein de leurs rouages étincelants, couleur de vie en trompe-l'oeil, la mort des choses enregistrées, pour toujours, sous leur forme la plus parfaite, comme au cinéma, le mouvement continuel crée l'illusion de la vie.

D'aucuns y voient la fin de l'art, c'est le sens caché (?) d'un discours selon lequel tout a déjà été fait, a déjà eu lieu, etc... Dérision, fragmentation, répétition, font naître un discours critique qui, au comble de l'aberration et du retournement, finit par vanter la compilation aseptisée, estampillée marchandise de haut niveau, muséo-momifiée -que la mort est jolie!- au détriment de la chair et du vécu: la vie c'est sale, ça pue, ça suinte, ça grouille, ça colle, c'est laid, c'est kitsch, c'est pauvre, bref, c'est pas tendance.

Au contraire des systèmes-machines propres, débarrassés de toute scorie, où tout ce qu'on a introduit est traçable, stérilisé, où les pièces de fonctionnement sont toutes interchangeables et la fiabilité comme l'hygiène sont garantis. Ils tournent sous label hautement certifié, reconnaissable par un logo dont l'image omniprésente vous sourit et vous rassure. Les rouages en sont tous étroitement dépendants, partant, aucune prise de responsabilité intempestive n'est à craindre de leur part. Ils sont régulièrement blanchis, lustrés, on soigne leur apparence afin qu'on puisse les croire faits des métaux les plus purs. La machine elle-même "s'exhibe sans pudeur", comme le dit Jarry dans Le Surmâle, elle se montre, se médiatise, met automatiquement en branle d'autres machines branchées en série, connectées en réseau, en flux tendu, en temps réel. Elle constitue à elle seule un spectacle exaltant, dont chacun ne peut qu'avoir envie de faire partie intégrante. Il faut "en être" pour exister, quitte pour cela à s'effacer dans ses entrailles, comme le héros de Bioy-Casares dans L'invention de Morel.

Les Machines Célibataires , définies par Deleuze et Guattari comme "surfaces d'enregistrement, corps sans organes (...) l'essentiel est l'établissement d'une surface enchantée d'inscription ou d'enregistrement qui s'attribue toutes les forces productives et les organes de production, et qui agit comme quasi-cause en leur communiquant le mouvement apparent", sont organisées en arborescences multiples.

Les grands trusts mondiaux, avec leurs marques et logos, leurs alliances et leurs O.P.A, ne fonctionnent pas autrement. Les marques tendent le plus possible à se déresponsabiliser de la production par des réseaux de sous-traitants, qui "font le sale boulot" en "délocalisation" dans des pays pauvres. Ce qui leur permet de se consacrer totalement et à grands frais, au dorage du blason, à l'entretien sur un grand pied d'un staff adéquat et au réconfort des actionnaires, tâches nobles s'il en fut. Tout cela allège considérablement le bolide high tech que constitue une grande marque, elle peut donc, avec une maniabilité accrue, débarrassée le plus possible des facteurs humains contraignants, se propulser à grande vitesse dans le ciel des cotations boursières où elle scintillera médiatiquement.

La Mégamachine Progrès, ou "actualisation illimitée du possible", ainsi définie par Gilbert HOTTOIS: une mégamachine reliant entre elles des milliers d'autres petites machines, qui font corps avec leurs machinistes technoformés. Configuration de poupées gigognes en "rhizome", l'Internet n'en est que l'un des derniers avatars. Ce rhizome est un rêve pour celui qui voudrait jouer au "Big Brother" et s'insinuer au plus profond des esprits connectés, non pour satisfaire leurs désirs mais pour les orienter selon la bonne tendance et les inféoder à travers les images virtuelles, DVD ou télévisuelles, au grand consensus du progrès inéluctable et obligatoirement bon pour tous.*

Cette religion à extases cathodiques
constitue le vrai danger de la "mondialisation", pour employer le mot à la mode, un danger sans commune mesure avec celui que représenteraient sur le net toutes les prises de liberté individuelles réunies, telles que semblent le craindre les instances qui s'emploient à légiférer, prétendant les protéger du cybercrime, contre les individus et leurs libertés fondamentales. Un pas dans le sens des interdits égale cent pas dans le sens de la déresponsabilisation individuelle et de la perte de citoyenneté massive: comble d'absurdité démontré magistralement par les hackers qui, eux, ont l'imagination pour débusquer les sites dangereux pour les libertés et la rapidité pour les contrer avec des moyens aussi dérisoires qu'efficaces.

Car liberté égale courage. Il aura fallu d'abord échapper à la fascination exercée depuis le siècle dernier par la Mégamachine Progrès, et retrouver une sorte de virginité dans le regard sur la réalité dans laquelle nous baignons de manière osmotique, que nous le voulions ou non, qu'elle soit matérialisée ou virtuelle.

Transformer des espaces réputés démocratiques en espaces de non-droit, c'est ce que s'emploient à faire les grandes marques dans les zones géographiques, politiques, technologiques, par elles colonisées sur toute la planète*. Elles défendent la marque, non les individus qui la portent à bout de bras et qui constituent leur fond de commerce. Les grands procès en "droits d'auteur", les polémiques sur le "libre de droits", tout cela est détourné au profit des grands labels et au détriment des auteurs dont ils ont acheté et dont ils sont censés défendre la création en la diffusant à travers des produits audiovisuels ou des banques d'images, par exemple. Les marques s'estiment propriétaires de tout ce sur quoi elles apposent leur label, comme un marquage au fer rouge. Les auteurs sont traités comme le reste du cheptel, les salariés et les sous-traitants qui fabriquent les produits distribués. Au mieux, ils servent "la cause" en tant que vedettes-hommes de paille, auquel cas ils sont royalement entretenus car "porteurs de l'image" au même titre que les publicitaires de haut niveau qui fabriquent les logos et les rendent visibles partout, jusque sur le consommateur qui a payé l'honneur de devenir homme-sandwich. On achète des stylistes comme des footballeurs pour looker les marques à haut niveau et décliner ensuite dans tous les secteurs de produits la tendance mise en cahiers, en apprêts, en fabrication, en modèles, en boutiques franchisées ou en "espaces de marque" géants.

Les marques font et défont les styles en "mangeant" au fur et à mesure ce qu'invente celui qu'on peut appeler "l'homme de la rue", pour le lui reservir, digéré et re-designé par "les hommes de l'art" reconnus. Elles envahissent aussi l'espace de citoyenneté que constitue l'espace urbain, où elles sont omniprésentes, et plus seulement avec le pannaeu publicitaire classique. Elles font l'information (voir "rumeurs") à travers les émissions de télévision dont beaucoup de "tuyaux tendance" ne sont que des publireportages. Elles prétendent "lancer" les modes mais ces modes sont les chevaux de Troie destinés à investir tous les territoires de la culture, dans leurs tout derniers retranchements, y compris les fissures où se blotissent les créateurs indépendants, considérés comme de la ressource de terrain, et dont on extrait les idées comme on pille le territoire d'un "indigène" pour en vendre les produits. Actuellement, par exemple, les arts de la rue, tentatives pour l'art de restituer l'espace urbain et la critique aux habitants, sont copiés et détournés à grand renfort de moyens, tels qu'ils occupent massivement cette niche. Et retirent toute visibilité à d'authentiques contestations artistiques, sans moyens, qui pour le coup sembleront "nulles". Ici les moyens mis en oeuvre pareront de grandes qualités des fabrications-clones d'oeuvres d'art dites "populaires" et emporteront l'adhésion. L'indigène se voit forcé de s'approprier en l'achetant sous label ce qu'on lui a pillé. Là, un pudique anonymat des artistes-indigènes produira une illusion de "spontanéité" complètement maîtrisée et marketisée (voir rumeur-scénario de complot). Ce type de mécénat récupérateur est un des tops du moment, accomplissant le positionnement d'un label comme "celui qui défend les artistes et la culture" et force l'admiration par son modernisme "up to date".

L'indigène n'a pas de nom, pas de parole, pas de visibilité, pas de revendication, pas d'espoir de rentabilité: il n'acquiert d'utilité, de légitimité, de droit à vivre, à définir et à parler, sur tout et n'importe quoi, que lorsqu'il est estampillé par un label. S'il refuse de se laisser labéliser, c'est le rejet dans les marges de la non ou de la sous-culture, tolérée dans des squats, ghettos qu'on peut vider à tout moment comme un abcès.

Entre deux, le nomad's land des penseurs anonymes qui reçoivent au courrier les nouvelles du monde traduites par des gens qui ont des noms. Ces gens justement dont on "place" dans les salons mondains ou au café littéraire, les prénoms (comme s'ils étaient les seuls à le porter), afin de laisser entendre une grande intimité avec eux, les "people" (ironie du terme, qui désigne, ainsi que la presse spécialisée qui leur est consacrée, non les gens du peuple, mais uniquement ceux parmi eux qui ont un nom). Cette activité salonnière a été baptisée "name dropping", comme on pouvait le lire dans Elle, parmi des recettes pour être "trendy" en société.

En effet, à force de recevoir dans son salon ou sa chambre tous ces "people" qui "s'expriment", disent leur sentiment par petit écran interposé, ou de trouver dans sa boîte à presse quotidienne leurs missives, l'indigène les considère comme sa famille, leur nom lui appartient, il l'utilise sans arrière-pensée comme raccourci pour s'exprimer, en fait des adjectifs qualificatifs, des rôles, les métaphorise. Ses cours de philo prolongés par la lecture de la presse lui ont donné d'ailleurs des pistes en ce sens: les "people" se citent abondamment entre eux de cette façon, comptant sur l'érudition événementielle du lecteur pour compléter l'ellipse. Ceci ne manque pas de flatter l'indigène qui reçoit "cinq sur cinq". Quelquefois même, il souligne, il digère, il commente, il reste à sa place, il sait qu'il n'a pas pour de vrai l'amitié des people, il fait ça dans la marge.

Parole d'Indigène!
Turbulences
journal ethnographique par Isabelle Dormion
Terminologie des Rumeurs malignes, décryptage des mots médiatiques "récurrents" dans les media, textes de critique d'art ou buzz modeux.
&
Litanie de Base Lines, une collection, rassemblée par May Livory au jour le jour depuis 2001, des slogans de base des marques qui intègrent à la publicité classique une contamination "douce", anodine, à travers ces petites phrases bien ciselées (des injonctions, des ordres?). En forme de conseils malins, d'affirmations d'altruisme de la marque vis-à-vis de vous (le client, le béotien, le consommateur), de son omniscience à régler votre vie, la sécuriser, lui donner tout son sel, son relief, son intérêt. Secrets de beauté, de philosophie, de sagesse, de plaisir, d'épicurisme, rendus quasi obligatoires pour tous d'une manière quasi subliminale, car on ne les remarque même pas, alors que, en les relisant bout à bout, on se rend compte qu'on les "sait" par coeur! Pour exemple, tout le monde se souvient de "Parce que je le vaux bien" ou de "Think different". Si on se met à y prêter attention, l'effroi vous prend de constater à quel point le marketing viral distillé par la grande machine s'insinue dans nos imaginaires sans coup férir. Pour s'en convaincre, il n'est que d'examiner ses propres réactions face à ces phrases qui semblent à première vue presque vides de sens, mais finalement très lourdes de conséquences sur l'individu, ses attentes, ses rêves de réalisation, ses ambitions, ses projets de vie et sa vision de la société, entre autres: Live the game - Entrez dans la légende - Just do it - Fais-le! - "Espress yourself - Inventez-vous! - Choose Freedom - J'ai toujours envie d'aller aux Galeries - Connecting people - Partez sans payer - Vous le valez bien - Jouez avec vos émotions -
Autant d'injonctions dont le caractère péremptoire vous prend en défaut si vous ne vous y conformez pas. Des impératifs qui placent une exigence globale de vie individuelle, à la fois au-delà des capacités ou des compétences de la personne moyenne, et en-deçà de ses aspirations profondes. Une lecture qui laisse un arrière-goût de malaise indéfinissable derrière le sourire qu'elle suscite parfois, car il y a des trouvailles et même quelquefois de jolies choses, des tournures bien venues ou des idées très justes. Accompagnant de leurs formules lapidaires nos "actes d'achat", nos peurs, nos tristesses, nos culpabilités sur le bien-fondé de nos décisions face à l'avenir, à la sécurité des nôtres, confortant notre cupidité, nos lâchetés, notre besoin de reconnaissance, ou stimulant nos penchants égocentriques, ces "petites phrases" sous-titrent en permanence notre vie quotidienne pour en faire le film parfait dont nous serions les héros.



Label, banque de données et droit d'auteur
Lorsqu'il se rebiffe, l'indigène déclenche le rouleau compresseur: à lui de résister seul des années durant au large consensus qui veut que le respect du créateur, et le "droit d'auteur", seul mode de rémunération inhérent au statut d'auteur tel que légalement conçu actuellement, soit à la fois reconnu et constamment bafoué, impunément, par ceux-là même qui l'exploitent et devraient le faire respecter.

Personne n'est resté insensible aux énormes profits générés par le nouvel Eldorado que constituent les banques de données ou les sociétés d'auteurs (il faut savoir qu'un auteur ne peut toucher de droits de l'audiovisuel s'il ne fait pas partie d'une société d'auteurs, laquelle redistribue à ses adhérents le pactole versé sans aucune transparence ni compte à rendre).

Abusées par l'expression "libre de droits" employée pour leur publicité par les banques d'images, alors que seuls certains des droits sont compris dans le prix du cédérom, de petites sociétés ou services de communication intégrés répugnent à recourir à des créateurs indépendants, pensant "se faire avoir" s'ils paient des droits. Certains vont parfois jusqu'à prétendre acheter la création comme "des pommes de terre qu'on mange ou qu'on met dans son tiroir et qu'on utilise quand on en a besoin et qu'on vend comme bon nous semble" (dixit un directeur du groupe Marie-Claire Album en 90 lors d'une réunion de concertation en expertise). C'est une des conséquences de la naissance des grandes banques d'images, qui diffusent mondialement sous la forme de cédéroms et de catalogues téléchargeables sur Internet, des images prêtes à l'emploi.

Tout groupe de presse constitue des archives au fil des ans, avec les documents publiés et les reportages photographiques complets parmi lesquels les rédactions ont choisi quelques vues pour une parution initiale. Et, une chose en entraînant une autre, ce groupe peut exploiter ses archives comme une banque de données dans un système classique de reventes. Tout dépend alors du système d'indexation et de gestion de cette "banque", s'il respecte ou non, en totalité ou en partie, le droit d'auteur et le copyright, et selon quelle législation (en effet les lois ne sont pas les mêmes pour tous les pays). La mise en archives n'est pas expressément signalée aux auteurs, ils reçoivent, au mieux, des fiches de revente avec chèque ou virement du montant de leurs droits calculés selon la méthodologie et la base de rémunération en usage dans le groupe en question. Les auteurs n'ont la plupart du temps pas accès aux données, encore moins la possibilité de vérifier, modifier ou de supprimer celles les concernant.

Le pot de terre contre le pot de fer, un exemple: des créateurs peuvent ainsi se retrouver sans le savoir, dans une situation d'exclusivité non consentie de revente de leurs droits par un groupe de presse. Plus grave, cette revente se fera sans mention de nom d'auteur et sans contrepartie financière si par exemple les oeuvres ne sont répertoriées que sous le nom du photographe qui en a fait la reproduction. En effet les oeuvres se trouvent classées dans de telles archives sous diverses formes, exploitables conjointement ou séparément grâce à un certain nombre "d'entrées" dans la base de données: reportage photo, rédactionnel, iconographie thématique, catégories d'ouvrages, de techniques, de styles, shémas de montage, patrons, diagrammes etc... De plus, ainsi fragmentées, titrées, préparées, classées, les oeuvres font partie d'un fond qui peut être du jour au lendemain cédé globalement, par vente ou par regroupement, à n'importe quelle entité possible.

Un auteur ne peut donc découvrir la reproduction de ses oeuvres à travers un tel système de reventes qu'au hasard, par exemple en feuilletant un journal étranger lors d'un voyage, ou un des albums thématiques édités en Angleterre et traduits dans plusieurs langues et vendus partout au moment des fêtes: c'est exactement ce qu'ont vécu May Livory et Huguette Kirby, qui en tant que stylistes, ont travaillé en free-lance une quinzaine d'années avec le groupe Marie-Claire Album. Et elles ont connu face à ce groupe et aux instances censées mettre bon ordre, des démêlés véritablement rocambolesques pour faire reconnaître les contrefaçons et faire valoir leurs droits. Au départ, 5 plaignantes dans un procès en droits d'auteur pour reproductions illicites de leurs oeuvres, initialement créées pour des parutions ponctuelles dans le titre 100 Idées (défunt depuis), par le groupe, sur une période de plus de 20 ans, sans autorisation ni mention du nom ni rémunération. Première manche gagnée en 1989, mais abandon entre temps de trois des plaignantes, poussées à "devenir raisonnables" et à "faire table rase" pour une somme dérisoire. Deuxième manche, gagnée par les deux résistantes avec un nouvel avocat, en 96, avec parution dans 3 journaux de la condamnation du groupe. Mais la dernière tranche, suite à l'expertise, ne s'est conclue qu'en 2001!

Le label est en train de remplacer les auteurs
Cet exemple vécu n'est là que pour stigmatiser le comportement de type célibataire de nombreux organismes marchands vivant de la création mais refusant de le reconnaître à travers les auteurs. La polémique sur l'internet et les différents symposiums sur ce sujet parleront en l'air tant que le label fera la loi par dessus les lois, que détenant les copyrights, il en gèrera les profits et les défendra, s'il le faut, contre les auteurs eux-mêmes, et ce par extension dans tous les domaines possibles. C'est le label en tant que propriétaire qui fera l'actualité par les grands procès en contrefaçon, tendant ainsi à amalgamer sa cause à celle du droit d'auteur: l'exploitant défend avant tout sa marque, qu'il a apposée sur des copyrights, et son pré carré, il prétend être le seul à exploiter cette mine (Voir l'actualité brûlante et les débats législatifs européens par rapport aux grands groupes agro alimentaires qui s'emparent du vivant à travers des manipulations de labo pour le breveter et en le revendant sous label, en détenir le monopole mondial: exemple des semences que les agriculteurs "indigènes" doivent acheter chaque année, sous peine d'être accusés de contrefaçon, et aussi les problèmes posés aux créateurs de contenu, aux journalistes et aux états par les data sous label Google et autres multinationales cotées en bourse aux profits colossaux).

L'essentiel pour le label qui a constitué une telle banque de données est donc de décourager les auteurs, au sens large, qu'un précédent pourrait inciter à réclamer la reconnaissance de leurs droits ou à exiger la transparence dans leur gestion et leur répartition.

Le terme de "droit d'auteur" est d'ailleurs devenu ambigu: il s'agit pourtant simplement d'un mode de rétribution de l'auteur par un diffuseur, rétribution progressive et au prorata prédéfini des bénéfices générés par les ventes, avec ou sans "avance sur droits" à la commande des oeuvres. Ce contrat moral, financier et social qui lie le "diffuseur" à "l'auteur" est souvent et impunément bafoué, d'autant plus facilement qu'il n'y a d'autre moyen pour l'auteur lésé que le procès pour faire respecter le contrat. A part quelques "best sellers", l'auteur en a rarement les moyens, ou comme il s'agit le plus souvent de petites sommes, il serait démesuré d'engager une procédure pour les récupérer une à une.

Si malgré tout il se lance dans une procédure, l'auteur passe vite pour un procédurier dont il faut se méfier. Et comme il s'agit avant tout pour le label de continuer à exploiter une mine qui rapporte, sa stratégie consistera alors à "faire durer" par tous moyens tels que rétention d'informations, tentative d'imputation de la charge de preuve, témoignages invérifiables, intimidation ou mauvaise foi. A telle fin que l'auteur, isolé, lâché par ses confères professionnels, même s'il gagne au final parce que son avocat s'est bien battu, ait perdu son temps, son argent, sa réputation, son travail. Le fin du fin consistant à parler des auteurs en général comme de l'ennemi procédurier des entreprises. Travail de sape qui réussit puisque les droits d'auteur sont de plus en plus mal vus, perçus même parfois dans l'esprit du public comme des entraves au développement en se faisant attribuer "par transparence" tout ce qui est le fait du label et de son monopole.

Au point que lorsqu'on débat ces derniers temps de droit d'auteur, le fait qu'on soit pour ou contre n'a que peu de sens. Et des gens de bonne foi comme ceux de "Copyleft" qui veulent jouer le partage et la gratuité sur le net se trompent de cible. En effet les auteurs dans l'état actuel des choses ne sont pas libres de donner ou de vendre des droits qui leur sont confisqués par les groupes à stratégie de profit. Ces groupes qui font l'actualité sur ce sujet en se battant entre eux avec de grands moyens. Soit l'auteur souscrit à un mode de fonctionnement qui a acquis force de loi par l'usage en signant des contrats léonins, ou il se fait laminer à l'usure et à la réputation (mesures de rétorsion non officielles telle la liste rouge ou le chantage à la "conciliation", pour en revenir à notre exemple).

Un type de fonctionnement qui ressemble fort à celui qui consiste pour les Supermarques, comme les appelle Naomi Klein dans No Logo, à se débarrasser de leur rôle social à travers des sous-traitants délocalisés, laissant entendre que ce sont les individus producteurs qui coûtent le plus cher et pénalisent l'entreprise par leurs revendications exorbitantes, les empêchant de réaliser les objectifs stratégiques fixés. Ça vous a des relents de vieilles histoires de bouc émissaire, et au fond, c'est toujours la même histoire de pouvoir, d'argent, de conquête de nouveaux territoires, de colons et d'esclavagisme.

Mais observer les rouages d'une machine dont on essaie de comprendre les mécanismes et actualiser ses connaissances en la matière n'a jamais fait de mal à personne. Qu'il est bon en tant qu'être humain d'exercer son intelligence à autre chose qu'à la consommation béate ou à la confortation journalière d'un certain confort généré par l'irresponsabilité! Et les conclusions de cette observation sont loin d'être fatalistes: les mécanismes sont réinventables à l'infini, l'énergie qui les meut aussi, et inventer c'est amusant même si c'est inutile: la surprise est toujours possible!

La mise en évidence de ce phénomène n'est pas nouvelle en soi. Il a déjà été largement étudié et / ou évoqué en art et en littérature par Marcel Duchamp, Jean Dubuffet, Georges Bataille, Franz Kafka, Guy Debord, Gilles Deleuze, Andy Warhol et, on l'oublie trop souvent, Charles Baudelaire parmi maint autre poète ou critique d'art. Shukaba tente un "break" qui permette de montrer que beaucoup, si ce n'est la plupart, des machines, ne sont pas célibataires dans leur nature, et donc une fois pour toutes, mais dans leur mode de fonctionnement. Ce n'est donc qu'une question de rapports et de différentiels.
Les Machines Célibataires fonctionnent au courant alternatif attirance-répulsion... Nous pouvons en conclure qu'il est toujours possible de rendre inscriptible une surface d'enregistrement, de rendre ses organes sensibles au corps, de remettre le contact avec l'affect, "d'inverser la vapeur" grâce à quelque élément. Il peut même suffire d'ajouter ou de retirer un petit quelque chose, un "je-ne-sais-quoi" judicieusement choisi. C'est cette recherche "futile" que mène Shukaba, tâche à la fois rude et dérisoire, mais lorsqu'on se sent écrasé, le moindre petit bras de levier est bon à prendre. May Livory, 2000



Droit d'auteur et artistes plasticiens: la gratuité
Actu
ARCHIVES
Intervention de May Livory au cyber Sénat, fête de l'Internet 1999:
A toute liberté son poids de courage
Ceux qui s'occupent de l'art éclipsent ceux qui le font: où il est question du "métier" d'artiste, du marché de l'art et de la gestion de l'art en France, qui ressemble fort dans son fonctionnement à une machine de type célibataire, constat par Katerine LOUINEAU:
Arts plastiques accaparés et plasticiens tutellisés...

Bibliographie machines célibataires

BAUDELAIRE, Charles: Oeuvres complètes (2 tomes), La Pléïade, Gallimard, Paris.
* p. 580 Tome II: L'idée du progrès, " ce fanal obscur, invention du philosophisme actuel, breveté sans garantie de la nature (...) Qui veut y voir clair dans l'histoire doit avant tout éteindre ce fanal perfide".
Et p. 581: "Si les denrées sont aujourd'hui de meilleure qualité et à meilleur marché qu'elles n'étaient hier, c'est dans l'ordre matériel un progrès incontestable. Mais, où est, je vous prie, la garantie du progrès pour le lendemain? Car les disciples des philosophes de la vapeur et des allumettes chimiques l'entendent ainsi: le progrès ne leur apparaît que sous la forme d'une série indéfinie. Où est cette garantie? Elle n'existe, dis-je, que dans votre crédulité et votre fatuité. (...) Transportée dans l'ordre de l'imagination, l'idée du progrès (il y a eu des audacieux et des enragés de la logique qui ont tenté de le faire) se dresse avec une absurdité gigantesque, une grotesquerie qui monte jusqu'à l'épouvantable. (...) L'artiste ne relève que de lui-même. Il meurt sans enfants. (...) Il en est de même des nations qui cultivent les arts de l'imagination avec joie et succès. La prospérité actuelle n'est garantie que pour un temps, hélas, bien court. (...) La vitalité se déplace, elle va visiter d'autres races."

JARRY, Alfred : Le Surmâle, paru init. Revue Blanche, 1920, n° 108 éd Mille et Une Nuits, Paris, Mai 1996.

BIOY CASARES Adolfo: L'INVENTION DE MOREL

TIBBON Michel, DES AUTOMATES AUX CHIMERES, Enquête sur la mécanisation du vivant, Thèse d'Etat, Paris Sorbonne, 1991.

LATOUCHE Serge, LA MEGAMACHINE, Paris, La Découverte, coll. Recherche, 1995.

Collectif : Catalogue bilingue français / allemand édité par Alfieri à l'occasion de l'exposition "JUNGGESELLENMASCHINEN-LES MACHINES CELIBATAIRES" aux Arts Décoratifs en 1976 à Paris, présentée également à Berne, Venise, Bruxelles, Düsseldorf, musée de L'Homme et de L'Industrie au Creusot, à Malmö, Amsterdam et Vienne), dirgé par Jean CLAIR et Harald SZEEMANN, avec entre autres auteurs: Michel CARROUGES, Marc LE BOT, Bazon BROCK, Michel de Certau, Peter Gorsen, Gilbert LASCAULT, Jean-François LYOTARD, Günther METKEN, Alain MONTESSE, RDRIZZANI, Arturo SCHWARTZ, Michel SERRES. L'exposition par elle-même constituait une sorte de labyrinthe où les oeuvres pouvaient être vues comme formant un "cycle sur les différentes façons de mourir (Todesarten)" expression d'Ingeborg BACHMANN reprise par Michel de CERTEAU, qui, à propos du "Graphe peint sur verre de Duchamp", y voit la dissémination du sujet (l'image du spectateur devant la vitre-miroir): "... malgré la dérisoire fusion que lui promet cette transparence..."

Michel CARROUGES dès 1948, consacre dans son livre LES MACHINES CELIBATAIRES l'expression dont Marcel DUCHAMP est l'inventeur avec son Grand Verre "qui fascine comme une sorte de grandiose pictogramme ou hyéroglyphe représentant une scène capitale et incompréhensible. Pour mieux comprendre, reportons-nous au prototype le plus simple des machines célibataires. on le reconnaît dans la célèbre formule de LAUTREAMONT: "Il est beau... comme la rencontre fortuite sur une table de dissection, d'une machine à coudre et d'un parapluie!" (MALDOROR, Chant VI)... A la place du lit d'amour qui est union et vie, la table de dissection exprime la fonction spécifique de la machine célibataire qui est solitude et mort".

DELEUZE Gilles.et GUATTARI F., Capitalisme et Schizophrénie, L'ANTI-OEDIPE, Paris, éditions de Minuit, coll. Critique, 1972.

DEBORD Guy, LA SOCIETE DU SPECTACLE, 3° édition française, Paris Gallimard par les soins de Jean-Jacques PAUVERT. (éd originale, Buchet-Chastel, 1967, puis Champs Libres, 1971)

PETIT Pierre, MOLINIER, UNE VIE D'ENFER, Paris Ramsay/ Jean-Jacques Pauvert, 1992.

LIVORY May, SHUKABA, rumeurs et Costumes, Septentrion "Thèse à la carte", Paris 1998, "Du remplacement de l'imaginaire par des machines séparées de la vie dans les milieux d'art et de mode en occident au XXeme siècle", pages 96 à 123.

*KLEIN Naomi, NO LOGO, La Tyrannie des Marques, édition française Actes Sud, 2001
Sur son site Internet, des forums très fournis et toute l'actualité touffue sur la mondialisation, les associations et collectifs qui réagissent à la tyrannie des marques et leur "branding": <http://www.nologo.com>
et The Shock doctrine, the rise of disaster capitalism, Picador, 1ere édition New York juillet 2008 - www.naomiklein.org

Bibliographie droits d'auteur

SMIERS Joost: "Plaidoyer pour l'abolition du droit d'auteur: La propriété intellectuelle, c'est le vol!" Article paru dans Le Monde Diplomatique Septembre 2001 -3- extraits:
"Les grands groupes culturels et d'information couvrent toute la planète avec les satellites et les câbles. Mais posséder les tuyaux de l'information du monde n'a de sens que si l'on détient l'essentiel du contenu, dont le copyright constitue la forme légale de propriété. Nous assistons actuellement à une foire d'empoigne des fusions dans le domaine de la culture, comme celle d'AOL et de Time Warner. Cela risque d'aboutir à ce que, dans un futur proche, seule une poignée de compagnies disposent des droits de la propriété intellectuelle sur presque toute la créatiuon artistique, passée et présente.
(...) Le concept autrefois favorable, de droits d'auteur, devient ainsi un moyen de contrôle du bien commun intellectuel et créatif par un petit nombre d'industries. (...) Les quelques groupes dominant l'industrie culturelle ne diffusent que les oeuvres artistiques ou de divertissement dont ils détiennent les droits. (...)
conclusion: "Désormais, l'objectif devrait être de créer un nouveau système qui garantisse aux artistes des pays occidentaux et à ceux du tiers-monde de meilleurs revenus, qui donne toute sa chance au débat public sur la valeur de la création artistique, qui se préoccupe de l'entretien du domaine public culturel, qui brise le monopole des industries de la culture, vivant du système de droits d'auteur."

SOULILLOU Jacques: L'AUTEUR, MODE D'EMPLOI, l'Harmattan, Paris, 1999.

FARCHY Joëlle: travaux sur l'impact des nouvelles technologies sur les modes de financement de la culture:
LA FIN DE L'EXCEPTION CULTURELLE, CNRS Editions, 1999
INTERNET ET LE DROIT D'AUTEUR, CNRS Editions, 2003


retour Bienvenue Shukaba

retour accueil