Entre peaux morphiques
May Livory
copy-art pré culinaire, marouflages sur toile, hybridations et mues

 

Avant d'entrer dans cette loge de concierge aux murs tatoués, on ne savait pas que tout a une peau, même un fauteuil; ni que beaucoup se ressemblent, comme l'envers de la feuille d'un chou pommé et la paroi interne d'une panse de brebis, la peau des pattes plumées d'une poule faisane et celle des jambes de femme gainées de résille...
Voluptueux résultat d'explorations comparatives menées depuis des années sur photocopieur analogique*, ces séquences sont des focus opérés au plus près des tissus organiques balayés par la lumière à travers la plaque de verre, enregistrées par l'électrographie et imprimées en un seul original. Les séquences forment des séries jamais closes, l'ensemble s'apparente à une geste dans laquelle chacune, autonome, est cependant susceptible de se greffer à d'autres concepts ou de donner naissance à d'autres séries. Marouflées, elles deviennent matière à peindre, ou bien, par collage, se métamorphosent en Hybridations.
Chaque séquence est une injonction à voir ce sur quoi le regard se pose avec réticence. May Livory désigne ces peaux en impliquant la sienne dans le même geste. Ses mains, ses doigts, ses ongles, portent au regard des tissus organiques singuliers. On est convié à l'offrande d'un bol de peau, au strip-tease en trois temps d'un poulet. On assiste à de menus rituels, où des topinambours sont amoureusement langés de gaze, où la peau interne d'un gésier flotte en extase. Les tripes enroulées se font masques, les dépouilles de maquereaux deviennent icones.
Cet inventaire pictural côtoie des objets familiers en cours de peaucification plus ou moins avancée. Le papier journal, le papier kraft ou le papier japon, s'allient à des éléments naturels, patelles, manches à couteau, écorces d'avocat ou de clémentine, pour « faire peau » : Mue de licorne marine, Mue de sirène de l'information, Main-couteaux.
S'agit-il du miracle réparateur de la cicatrisation qui referme toute plaie, amortit toute douleur? De la métamorphose entre l'inerte et le presque vivant de ce que nous touchons et qui nous touche? Ou alors, dans cette contamination par la pelure de clémentine d'un torchon de cuisine, cette colonisation d'un fauteuil par une peau de poisson, doit-on voir la formation de nouvelles géographies cutanées? L'art -comme nature reprenant ses droits-, pourrait donc sécréter de quoi relier végétal, animal, choses et gens?
Bianca LOBO, traduit de l'espagnol par Valérie Livory

13-21 mars 2011 un Printemps des Poètes couleur femme, week-end de rencontre des éditions LE BRUIT DES AUTRES avec BARDE LA LEZARDE, lecture d'extraits de Claudine BOHI, Même pas, Le Bruit des Autres, Isabelle DORMION, Points de suture in Turbulences, Barde la Lézarde, Suzanne DRACIUS, recueil Pour Haïti, coll. Anamnésis éditions DESNEL (130 auteurs au bénéfice de l'association BSF), commander: desnel.com - dans le cadre de l'exposition de May LIVORY**, Entre peaux morphiques à La Loge de la Concierge

*voir aussi les expositions Copy art - Barbarie ordinaire et la page May Livory
Ensuite, 3 peaux de sirène ont été exposées en installation suspendue pour "Les Inattendus, une histoire de fil", à la mairie de Sainte-Savine, Troyes 22-30 mai 2010

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 Manque de peaux

à May Livory

Peaux en manque
toutes ces peaux lisses au bonda
maté ou pas
tantôt hérissées comme mât
de cocagne ad libitum
peaux de femmes comestibles, peaux d'hommes
ou de Marianne la peau figue
carnavalesque peau tiquetée qui a goûté
gros soleil par un petit tamis
savouré d'un petit ami
la peau mangue ô
succulente peau de chagrin !
croupe aux hautes callipyges rondeurs
ou fa dièse au plus près du sol faisant dièses et faisant gammes
la peau de ton cul n'est pas tienne
la peau cabrit !
en cette danse de reviviscence
défense
d'enjamber plus d'un carreau à la fois
pénis, pénil collés-serrés
en bas tonnelles
mises à bas, foutre !
À bas les malédictions !
tonnelles d'antan se dresseront
deux quartiers de cuisses en compas
dans la ville au Prince qui n'est
autre que son Peuple, enfin :
chaque Petit Prince, un Haïtien.

Terre, fends-toi,
terre, tu peux te fendre, pourfendre les impétrants
qui outrepasseraient leur droit
de s'avérer humains, c'est boute !
Terre, tu aurais leur peau, foute.
Qu'on ne touche pas à Ayiti.
Nul ne retouchera Ayiti.

Le coeur de mon pays est dans un piment cacao
fort, crachant le feu comme le bonda de Madame Jacques
son corps a des douceurs à nulle autre pareilles
rouge senti bon ou vert triomphant au bonnetot.
Peut-on se contenter d'avoir
la peau du ventre bien tendue
d'avoir bien mangé bien bu et puis merci petit Jésus ?
Ah ! se dépouiller des oripeaux
simili-cuir et simiesques
de pseudo-peaux noires masques blancs
d'écorchés vifs
la servitude à fleur de peau
toujours la diablesse au corps

tantôt érigées, érectiles, drues
grenues ou graines de violence
tantôt gibiers de potence
la peau saignée
la peau fromage
laissez les hommes passer !
Peaux échaudées, peaux sauvées, peaux échappées
à l'instar du pécari
pécheresses peaux portant d'une vie
aventureuse les stigmates
plus vous êtes de couleur, ô peaux, moins vous êtes
visibles
manque de peaux.

© Suzanne Dracius 2010



 Tabula non rasa

à Vénucia, d'Haïti et de tous les paradis perdus

Ciel en vacance.
La ville sans bleu.
Enlinceulée de poussière,
Troublée de mer éblouie,
Pleure au bord
De l'eau immense.

Le tien pays, terre
Violente, plaie grand'ouverte
Au gris du vent!
Dedans,
La couleur sèche
Des bégonias!

Remettre la table
Servie de décombres.
Juste mémoire des gestes!
Empoigner un balai de songes
Pour, enfin, pouvoir
Accommoder les restes.

La peine est
Chambre de passage.
Trace de doigt
Sur le miroir.
Résonance du vide
Au creux du regard.

Te sculpter de rage.
Grand bois debout,
Puissant totem!
Te peindre à mains nues,
En grognante magie
De couleurs charnelles!

Bleu à lèvres
Noir à ongles
Rouge à sexe
Jaune à genoux
Vert à coeur
Violet à fesses

Rose à cheveux
Blanc à hanches
Turquoise à joues
Ocre à nez et bistre à dos
Marron à oreilles
Orange à doigts.

Spectre arc-en-ciel
Arc-bouté
Entre l'avant et l'après,
Tu t'engendres
En chantant,
Toi, l'enfant des passages.


pour Suzanne, May Livory, Paris, 6 février 2010*

* pour le recueil collectif Pour Haïti, collection Anamnésis dirigée par Suzanne Dracius, édistions Desnel mars 2010
« L'enfant des passages », hommage à Ina Césaire, magnifique passeur de mythes de l'Afrique en Caraïbe, et à son accueil inoubliable dans son perchoir de Fort de France en septembre 2005 (Recueil L'enfant des passages, ou la geste de Ti Jean, éditions Caribéennes 1987).